Le rapport privé des étudiants à la mobilisation sur le campus de Bron
Quelle relation les étudiants entretiennent-ils avec les manifestations qui ont lieu régulièrement sur le campus ?
Dans le cadre de notre cours de méthodologie, nous avons été amenés à travailler sur les différents aspects de la vie universitaire. Nous avons décidé d’analyser la relation privée qu’entretiennent les étudiants avec les mouvements de lutte qui ont lieu sur le campus Porte des Alpes à Bron. Nous voulions donner la parole aux étudiants pour qu’ils puissent s’exprimer sur un sujet d’actualité politique, tout en se livrant sur leur vécu personnel et les atteintes des mobilisations sur leur vie privée. Que l’on soit militant ou non, les manifestations ont un impact sur notre quotidien d’étudiant, et c'est cet impact que nous voulons étudier et éclaircir pour pouvoir agir et tenter de mettre à jour les ressentis des étudiants quant à cette année universitaire très mouvementée.
Dans un premier temps, nous nous sommes questionnés sur ce qu’est une manifestation. Cela correspond à une action collective ayant pour but d'exprimer des revendications sociales, économiques ou encore politiques. Les manifestations sont un moyen pour les citoyens de s'exprimer et de donner leur avis sur la société, dans l'objectif de recevoir une amélioration des conditions de vie sociale ou même privées. Ainsi, à Lyon cet année ont eu lieu des manifestations étudiantes depuis le 12 novembre 2019. Elles ont démarré suite à la tentative de suicide par l’immolation d'un étudiant de 22 ans, devant le siège du Crous de Lyon le 8 novembre 2019. Ce jeune étudiant a laissé une lettre dans laquelle il exprimait son acte comme étant une revendication politique.
Ces manifestations en l'honneur d'Anas sont donc, en continuité avec son geste, un affront direct avec le gouvernement. Néanmoins le gouvernement refuse d'interpréter cet acte comme étant un acte politique : « Il faut prendre les choses avec beaucoup de précaution et refuser toute instrumentalisation politique. » (Sibeth Ndiaye, porte parole du gouvernement, BFMTV le 13 novembre 2019).
Les mouvements de lutte ont continué en se joignant à d'autres actions sociales, tels que les mouvements pour le climat, les gilets jaunes, ou encore les mouvements féministes, de sorte à réaliser une convergence des luttes. Ainsi, les manifestations sont devenues de plus en plus intenses et de plus en plus prégnantes dans la vie universitaire, bouleversant parfois l'ordre et la structure de la vie scolaire (report des partiels, cours annulés, etc...). Avec la crise sanitaire actuelle, les manifestations sont désormais impossibles. Même si celles-ci auront duré jusqu'au dernier jour d'ouverture de la fac le vendredi 13 mars 2020.
Nous nous sommes donc interrogés sur la place de la vie privée des étudiants au sein d’une université aussi mouvementé que celle de Lyon 2. Comment les étudiants peuvent-ils gérer les cours malgré les perturbations liées aux manifestations ? Est-ce difficile pour eux ? Ont-ils besoin d’aide ? Quelle relation les étudiants entretiennent-ils avec les manifestations qui ont lieu régulièrement sur la campus ?
Il est vrai que la vie étudiante est déjà assez stressante et mouvementée a priori. Nous devons gérer les cours tout en envisageant notre futur parcours professionnel, et parfois nous ne savons pas si nous sommes dans le bon cursus scolaire. Les doutes sont donc nombreux et l’agitation sociale peut être perturbante pour les étudiants, en plus des insécurités déjà présentes. Réaliser ces entretiens était, pour nous, un moyen de donner la parole à nos camarades dans un cadre formel pour que leurs difficultés personnelles soient entendues. Il est important de faire le lien entre vie privée et vie scolaire. Tout d’abord parce que nos conditions de travail divergent une fois que l’on sort de la faculté. Ensuite parce que cette année universitaire a été très mouvementée et qu’il était très difficile de suivre le cours de sa scolarité au vu des événements qui se sont produits. Nous sommes partagés entre le fait de réussir ses études à tout prix et les difficultés extérieures telles que la précarité, les jobs étudiants, ou encore nos relations personnelles (par exemple il peut être plus difficile de se concentrer sur l’essentiel lorsqu’on est loin de sa famille).
Les manifestations ont été utilisées comme un moyen pour exprimer ces difficultés par une grande partie des étudiants de l’université. Elles permettent à la population d’agir lorsque les problèmes sociaux ne sont ni entendus ni résolus. Sur le campus Porte des Alpes, les manifestations ont débuté après l’immolation d’Anas. C’est un acte qui nous a ouvert les yeux sur la réalité du monde social et sur les problèmes que nous pourrions rencontrer dans la poursuite de nos études. Le gouvernement n’a pas pris au sérieux cet acte et n’a proposé aucune solution concrète et immédiate pour pallier aux besoins des étudiants en situation de précarité et aux autres besoins nécessaires au bon déroulement de la vie scolaire.
Néanmoins, plus la lutte s'intensifiait, plus les divisions ont pris de place au sein des différents parties de la faculté. Les manifestants et la direction n’étaient pas du tout sur la même longueur d’onde, ce qui a pénalisé l’ensemble des élèves et de l’université. Les moyens d’expression utilisés par les bloqueurs étaient controversés, et les relations sociales entre les individus se détérioraient parfois. Nous avons donc voulu chercher à comprendre si les luttes visant à défendre les étudiants ne les pénalisaient pas également. En cela, nous nous sommes intéressés à leur ressenti général à propos des mouvements de lutte qui avaient lieu à la fac. Nous avons tenté de réunir un maximum d’informations pour connaître les réels impacts des mobilisations sur la vie privée et l’avenir des étudiants de Lyon.
Nous nous sommes donc engagés dans l’exploration de la « face cachée de l’université » à travers la vie privée des étudiants. Nous avons interrogé huit étudiants, ce qui fait 2 étudiants interrogés par chaque membre du groupe. Les enquêtés ont entre 19 et 20 ans, et sont tous étudiants sur le campus Porte des Alpes à Bron.
Synthèse des résultats
« Qu’est ce que la mobilisation pour toi ? »
Les réponses des enquêtés sont dans la globalité favorables à l’idée de se mobiliser pour faire valoir ses droits. L’enquêté 2 dans l’interview de Taïs soulève le fait d’être “mobile” relatif à la mobilisation pour accentuer que se mobiliser c’est agir pour une cause. Il y a une dimension de recherche de la liberté à travers la mobilisation. Cependant, les Anonymes 2 des entretiens de Sinisha et Myriam ont montré leur désaccords quant aux moyens de lutte employés. Selon eux l’organisation des manifestations n’était pas assez efficace et ne collait pas forcément avec les revendications réellement importantes.
On voit bien ici la réelle influence des manifestations sur la vie privée des étudiants. Manifester est un choix personnel, et en cela, on peut voir que c’est la volonté et les actions de tous qui permettent de faire bouger les choses, même si les bénéfices de cette démarche ne sont pas toujours ceux espérés. De ce fait, ce sont les choix privés que font les étudiants, de manifester ou non, qui vont influencer le devenir de la fac et le déroulement de l’année scolaire.
« As-tu déjà participé aux blocages ?
Si oui, qu’est-ce que cela t’as apporté ? Si non, pourquoi ? »
Ici les réponses sont très divergentes. Nous avons eu des personnes qui ne se sentent pas réellement concernées par les revendications des militants dans les entretiens de Sinisha (Anonyme 1 et 2) et de Myriam (Anonyme 2). Pour eux la fac est plutôt un lieu de travail et ils ne voient pas forcément d’intérêt de restreindre l’accès à l’université.
Dans les entretiens de Mina (Anonyme 2) et de Myriam (Anonyme 1), les deux personnes entretenues que nous avons mentionnées n’ont pas participé à beaucoup de manifestations mais estiment que les mobilisations sont de bons moyens de tisser des liens et de créer des relations de solidarité entre les étudiants.
Dans les entretiens de Taïs et de Mina nous abordons des individus qui ont participé à des manifestations de leur plein gré. Nous ressentons un réel effet sur la personnalité des étudiants qui se mobilisent. Pour eux les mobilisations et les blocus sont des moyens d’expression des diverses revendications, mais permettent aussi d’exprimer ses sentiments et ses émotions tel que de la colère ou de la tristesse. Dans l’entretien de Mina, Anonyme 2 souligne aussi le caractère stressant des manifestations qui ne se déroulent pas toujours bien.
«Si tu t'informes sur les manifestations, par quels moyens le fais-tu ?»
Les principales sources d’information de nos étudiant sont les réseaux sociaux et la communication entre eux. Cela s’accompagne d’un certain rejet pour les médias classiques télévisés ou les journaux papiers. Ils utilisent donc les plateformes suivantes : Facebook, YouTube, Twitter, applications journaux. On constate donc que les réseaux sociaux sont très influants dans la vie privé des étudiants. Ils permettent de se tenir informé de façon efficace et rapide.
« Quand tu es arrivé sur le campus quel effet t’ont fait les tags ? »
Les réponses à cette questions s’orientent de deux façons : d’une part les étudiants sont pour l’idée de taguer la fac, et d’autre part ils trouvent cet acte inutile.
Les enquêtés de Taïs, Mina, ainsi que l’enquêté 1 de Myriam pensent que le fait de taguer l’enceinte de la fac est un bon moyen de s’exprimer. Pour eux, ces tags sont une façon de s’approprier le lieu qu’est l’université tout en poussant les individus à la réflexion. C’est une façon poignante de se faire entendre puisqu’on ne pouvait pas les ignorer, on y était constamment confronté dès que l’on posait les yeux sur un des murs de la faculté. Ils ont trouvé cela parfois amusant, les tags leur ont réellement apporté de la joie.
Pour les enquêtés de Sinisha et Anonyme 2 de Myriam c’est un tout autre ressenti qui les a parcourus. Pour eux les tags ont décrédibilisé les réels enjeux des manifestants et sont même incohérents avec leur lutte. Pour eux, il n’y a aucun intérêt à dégrader la fac. C’est un bâtiment public destiné aux études et le dégrader n’a aucun sens quand on défend les droits des étudiants, surtout si c’est fait de manière violente. Il doit s’agir d’un droit pour tous de travailler dans un environnement adéquat.
Ainsi, nous pouvons retenir que les tags peuvent être de bons moyens d’expressions pour faire valoir nos revendications. Cependant, il faut qu’il s’agisse d’un acte réfléchi et que ça n’offense personne.
« Est-ce que la mobilisation a eu un impact sur ta vie privée ?”
Cette question est la question la plus importante qui ressort de nos interviews puisqu’elle nous permet de répondre à notre problématique de départ.
Les réponses sont mitigées. Nous avons d’une part les enquêtés de Mina, Anonyme 1 de Myriam et Anonyme 2 de Taïs pour qui la mobilisation a eu un effet positif sur leur vie privée. Pour ces étudiants, la mobilisation est un moyen de créer des liens avec d’autres personnes, de partager des valeurs communes en se socialisant avec l’environnement des mobilisations. C’est une manière de s’ouvrir sur le monde social, de rencontre et d’échange.
Ainsi, nous pouvons voir que les blocages, même s’ils permettent des avancées politiques et sociales, peuvent compromettre l’avenir des étudiants qui est déjà incertain. Certes, les étudiants choisissent eux-même de se mobiliser, mais ils n’ont pas choisi leur situation de précarité, leur difficultés scolaires ou encore leur lieu de travail. La vie privée d’un étudiant est indissociable de son parcours scolaire puisqu’elle va encadrer et déterminer la façon dont l’étudiant va s’investir dans sa scolarité. Il est important de mettre en perspective la vie privée et la vie étudiante pour comprendre leurs réels besoins et leurs difficultés pour en venir à bout.
Conclusion
Finalement nous pouvons voir que quelque soit la position des étudiants face aux mobilisations, ils sont tous impactés d’une manière ou d’une autre. Parfois le désaccord avec les moyens de lutte se justifie par le fait que les mobilisations viennent perturber la vie privée des étudiants.
Nous pouvons aussi constater que la réelle force des mobilisations reste la solidarité et le partage de valeurs communes dans un but commun. L’unification du corps étudiant est important, il faut continuer de s’entraider les uns les autres.
Enfin, nous pouvons nous demander comment pacifier les relations entre les militants et la direction, puisque pour le moment les moyens de lutte sont en majorité désapprouvés par les non-militants au sein de la fac. Il faudrait songer davantage à des façons de faire valoir nos droits tout en évitant de compromettre le parcours des étudiants.