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Les étudiant.es "en crise" : regards croisés sur l'Histoire

Actuellement, de nombreuses collectivités étudiantes, d’associations universitaires et publiques, d’alliances politique, etc., racontent et disent beaucoup sur la situation problématique liée au fonctionnement de la vie étudiante et le monde ou l’espace universitaire pendant la pandémie de COVID19. Dans cette enquête je voudrais approfondir le sujet des crises universitaire dans l’histoire avant les évènements liés à la pandémie de COVID19. S’appuyant sur les expériences européennes du XXe siècle , nous pouvons constater qu’au fil du temps, les université européennes ont été de plus en plus fréquentées. Je voudrais me concentrer sur les crises étudiantes liées aux évènements du XX siècle, en montrant leur unicité, mais aussi comment chacune a pu être surmontée.

 

Les universités dans l’Allemagne occupée

 

Au début, je vous propose de nous concentrer sur la crise universitaire qui a eu lieu en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale. L’événement très positif dans le contexte de l’histoire, comme la capitulation du IIIe Reich amena à l’ouverture d’une boîte du Pandore. Malgré la victoire des Alliés, les infrastructures de l’Allemagne étaient détruites, beaucoup de personnes souffraient de carences alimentaires et d’une situation sanitaire dramatique. Dans ce contexte, la vie universitaire devait tout de même reprendre.

 

Les premiers mois de 1945 et dans le même temps les derniers mois de la guerre dévastaient l’Allemagne et son système universitaire. Pourtant il existait des processus qui ont commencé à gâter les structures universitaires bien avant 1945. Principalement c’était la dépendance entre l’université et le parti nazi, quand l’idéologie du NSDAP supprima les libertés, notamment dans l’apprentissage : « L’hitlérisme se substituait à l’humanisme »[1] (Tonnelet, 1945, p, 161). Après la guerre l’Allemagne fut séparée par quatre pays vainqueurs (les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’URSS et la France) et cette séparation était très visible dans chaque couche de la vie quotidienne. Pour les Alliés il était clair que l’occupation était un processus provisoire et devait mener à l’unification. Concernant les structures universitaires, ils ont introduit le Comité de l’Éducation du Conseil de contrôle allié : le premier programme de ce Conseil était le programme des trois D : « dénazifier, démilitariser et démocratiser[2] » (Salomon, J-J. 2000, p. 2). Pourtant, chaque pays, en soulignant sa victoire et sa domination, mena son propre modèle universitaire : centralisme du côté français avec en tête le modèle des grandes Écoles ; décentralisation du côté américain lié à l’héritage fédéraliste ; politique de « l’indirect rule » du côté britannique inspirée par l’expérience de l’empire colonial ; l’université en vertu de la philosophie de Marx-Lénine dans la zone soviétique.

 

Les différents traitements des Alliés, dans ces premiers mois créèrent l’impossibilité, en premier regard, de l’unification du système des universités et de cette manière approfondirent la crise qui pesait sur la vie universitaire. Il était très important de rompre avec le nazisme surtout dans la vie universitaire, comme dans le domaine assez important dans l’Allemagne après la guerre. Chaque administration engagea aussi son propre système de « nettoyage » parmi les cadres universitaires. Dans la zone française, les premières qui commencèrent à « ouvrir leurs portes » furent les universités catholiques et protestantes, qui était désapprouvées et condamnées pendant la période de 1933 à 1945. Le Royaume Uni commença dès 1940 à organiser des cours à Cambridge pour les cadres universitaires dans la future zone d’occupation. Les Etats-Unis et l’Union soviétique recrutèrent dans les couches des cadres, d’anciens professeurs juifs ou communistes qui après 1933 avaient dû chercher l’asile dans ces pays. En 1948 dans le contexte de la crise politique et universitaire qui se produisait entre les Alliés occidentaux d’un côté et l’Union soviétique de l’autre, le Comité de l’Éducation et même le Conseil de contrôle allié furent dissouts, après seulement 3 ans d’existence.

           

Les investissements de chaque administration contribuèrent au développement des universités après la guerre et à l’amélioration de l’enseignement supérieur. Il faut avoir à l’esprit que l’Allemagne était occupée et séparée, mais c’était toujours l’Allemagne, donc toutes les différenciations dans le programme d’apprentissage menèrent à la séparation de l’Allemagne au niveau des universités. La crise politique qui résultat à la fin des années 1940 et qui donna le début de la Guerre Froide, poussa les Alliés à réagir ensemble face à l’URSS. Grâce à la proclamation en 1949 des républiques fédérative (RFA) et démocratique (RDA), l’Ouest unifia le système des universités dans les anciennes zones : française, britannique et étasunienne. Le manque de dialogue entre l’Est et l’Ouest contribua à la construction, dès le début des années 1950, d’une séparation idéologique. Même s’il n’était pas encore visible, « le mur de Berlin » existait déjà pour les étudiants allemands.

 

L’état de siège en République populaire de Pologne (1981-1983)

La crise universitaire en Pologne qui se déroula au début des années 1980 fut et reste invisible dans le grand contexte de l’état de siège. Pour mieux comprendre les évènements polonais il faut plonger dans l’environnement qui existait quelques années avant l’état de siège, dans les années 1970.

La situation économique dans le pays empirait violement et s’exprimait par l’augmentation du prix sur certains produits. Dans les différentes régions de Pologne les gens s’élevaient en manifestant. Il y eut beaucoup de manifestations, réprimées par la force par le gouvernement, ce qui causa des victimes civiles. De plus, en 1978 le polonais, Karol Jozef Wojtyla (Jean-Paul II) devint le premier pape qui vient de pays socialiste. En 1979 il visita la Pologne et déclama devant des millions de polonais les mots suivants : « Je crie, moi, enfant de la Pologne, et aussi moi, le pape Jean-Paul II. Je crie, que descende ton Esprit ! Et qu’il renouvelle la face de cette terre ! »[3]. Quelques mois plus tard, à Gdansk, le centre de l’industrie marine en Pologne, Lech Walesa et Anna Walentowicz, les ouvriers des chantiers navals Lénine, fondèrent et proclamèrent le premier syndicat indépendant du gouvernement parmi les pays socialistes, «SOLIDARNOSC» (en fr. Solidarité). L’activité de ce syndicat se diffusa très vite dans le pays, dans le même temps les manifestations et les grèves, les mécontentements demandant le changement démocratique devenaient plus nombreux et fréquents.

 

Le 13 décembre 1981, pour éviter l’invasion de troupes militaires soviétiques et la répétition des événements hongrois de 1956 et tchécoslovaques de 1968[4], a été instauré l’état de siège, avec le couvre-feu, les cartes d’alimentations. Le gouvernement interdit les syndicats et tous les mouvements de l’organisation. Les cadres et les étudiantes des universités, surtout, dans les domaines des sciences humaines furent réprimés. Les professeurs identifiés par le « Service de sécurité » comme des « unités dangereuses pour la sécurité nationale » furent mis en prisons spéciales. Très souvent, ces professeurs occupaient des postes assez importants dans les facultés : à leur place le gouvernement plaça des apparatchiks pour contrôler les syndicats étudiants. Ceux-ci durent devenir clandestins. En général, dans la période de la loi martiale, le Service de sécurité menait un travail très fécond avec les agents, les collaborateurs cachés qui à la fois étaient les étudiantes et cafardaient pour les autres, comme dit Przemyslaw Miskiewicz, étudiant en droit à l’université de Silésie à Katowice : « Après la chute de régime en 1989, j’ai appris qu’un de mon collègue, pendant le période d’état, collaboré avec le SB (service de sécurité) et écrit 60 rapports sur moi »[5] (Sarnat, J. 2019). Si le gouvernement ou le SB, considéraient que le professeur ou l’étudiant avait nui à la sécurité nationale il pouvait perdre son poste et obtenir un « billet du loup »[6] : il n’avait alors plus de possibilité de s’inscrire ou de travailler à l’université. Le gouvernement souvent mettait les étudiantes en prison pour une période de quelques jours à quelques mois, ce qui les empêchait de participer aux sessions d’examen. Les professeurs emprisonnés perdaient quant eux leurs titres académiques.

           

L’état de siège, était un grand défi pour les structures universitaires en Pologne en 1981-1983. Chaque personne qui s’engageait dans les mouvements opposants, en raison de son activité pouvait casser sa vie. La solidarité qui existait parmi les étudiants et les professeurs pouvait coûter beaucoup et affecter l’avenir de la personne, car la collaboration avec le Service de sécurité était assez répandu parmi les différentes universités. Pourtant les gens ont su trouver la force de s’opposer au gouvernement, en prenant des risques pour leurs familles.

Les changements idéologiques en URSS (PERESTROÏKA) et les premières années après la chute de l’Union soviétique.

           

Pour l’approfondissement de ce sujet j’ai fait un entretien avec ma tante, Oksana, qui dans les années 1988-1993 était étudiante en météorologie à l’Institut de Hydrométéorologie de Leningrad. Pendant cet entretien je lui ai posé 5 questions, qui ont pu éclairer ce sujet de la condition étudiante en Europe au XXe siècle. En m’appuyant sur l’expérience de ma tante je voudrais trouver quelques solutions pour les étudiantes pendant la crise actuelle.

Dans la période de vos études, avez-vous senti les changements au niveau de la liberté universitaire, comme la liberté d’expression, la liberté des mouvements ou des syndicats indépendant du parti communiste ?

 

Oksana : Aaa, oui j’ai compris la question et je te réponds immédiatement. A l’université, je souligne, en météorologie il me fallait apprendre l’histoire et l’histoire du parti communiste de l’Union soviétique et cette histoire du PCUS était obligatoire la première année, […], donc la liberté était absente. Je te donne un exemple de la « liberté » de ce temps-là, après la première année, l’histoire de PCUS, officiellement, était facultative mais en pratique, j’ai dû participer au cours, alors il me fallait faire illusion que [c’était] quelque chose intéressant pour moi. Je n’avais pas de possibilité de dire que ce cours ne me plaisait pas, c’était le tabou, nous devions penser comme le parti communiste nous disait et basta.

 

Sur la faculté, il y avait beaucoup d’étudiants/es qui venaient presque de tous les coins de L’Union. Au regard des évènements qui avaient lieu à la pays baltes ou à la Géorgie ou en Ukraine où se déroulaient grandes grèves d’indépendance et où le pouvoir central pouvait utiliser la violence pour la répression des révoltes, existait-elle parmi vous, dans Leningrad calme, une certaine solidarité avec les autres étudiantes ?

Oksana : En général, dans mon groupe il n’y avait pas d’étudiants de pays baltes ou de Géorgie. Mais, à mon avis, la solidarité n’existait pas, malheureusement. Par exemple, tu, peut-être, connais qu’à l’URSS arrivaient beaucoup d’étudiantes de pays africains, surtout de pays où on « construisait le communisme » et alors tous les cours étaient en russe. Alors j’essayais d’aider à ces étudiantes, dans mon groupe étaient quelques [étudiants] du Congo. Le russe, avec toute la grammatique est dur, de plus la météorologie, avec les différentes schémas, graphiques, etc. Donc je leur donnais mes notes de cours, mes travails pour l’amélioration de leurs connaissances et leurs notes. Pourtant dans ce « paradis soviétique » existait le racisme et même les personnes qui étaient dans l’Union des jeunesses léninistes communistes ( KOMSOMOL), ouvertement abaissaient l’humanité des personnes Noires. Et moi selon eux, j’étais cataloguée comme « la putain », parce que je donnais le coup de main aux personnes Noirs, mais ça m’était égal. Les autres personnes, qui venaient d’Asie soviétique ou de Sibérie ils étaient, pas tout le monde, mais ils étaient racistes. De plus, ils étaient très jaloux, si quelqu’un avait les notes plus hautes ils devenaient immédiatement [victimes de] harcèlement et de brimades. Donc, la solidarité n’existait pas parmi les étudiantes soviétiques, mais parmi les étrangers qui arrivaient vraiment pour étudier ça marchait.

 

Rêviez-vous ? Construisiez-vous les projets pour votre futur ? Car il existait une certaine appréhension du lendemain.

Oksana : Oui nous rêvions. Quand je commençais la troisième année, les étudiantes aux résidences parlaient sur les différentes distinctions[7], et moi, j’aussi pensais, je voulais installer après les études, à l’Extrême Orient, à Vladivostok, par exemple. Je pensais m’installer à côté de l’océan Pacifique, mais ensuite l’Union est tombée, et apparaissaient les frontières, un jour-là je me réveillée à l’étranger. J’avais peur d’aller loin et ensuite ne pas avoir de possibilité de revenir. Tous mes projets étaient brouillardés, donc il me fallait modifier tous mes rêves. Quand j’ai fini mes études ayant 23 ans, je suis revenue chez mes parentes et ai dit « aurevoir » à mes rêves précédents.  

 

Quelle était, en générale, la santé psychique ou l’état mental des étudiants/es ? Comment réagissiez vous sur les événements des changements ?

 

Oksana : C’était un drame… Quand je suis revenue chez mes parents, avec le diplôme qui était inutile dans le contexte de la situation. Parce qu’il n’avait pas de travail dans le domaine de météorologie, je voyais ma vie dans toutes les teintes de noir. Encore, après les 5 ans d’absence je perdais tous mes amis, c’était vraiment très triste. Je me rappelle les moments, après les études, quand j’ai compris que mon diplôme est seulement une feuille, que je n’avais aucune perspective pour l’avenir et que je n’avais plus envie de vivre, j’étais perdue. Mais maintenant je sais que ce période-là me testait , il me fallait de la passer, c’était mon défi. Il fallait et toujours il faut beaucoup de patience.

 

Comment vous débrouilliez-vous avec la situation de pénurie ? Car pour l’achat de quelques produits alimentaires il fallait faire la queue pendant 1 ou 2 heures, et finalement vous n’étiez pas sûrs qu’il reste quelque chose pour vous.

Oksana : C’était aussi une situation très intéressante, parce que premièrement on avait de l’argent et dans les magasins il n’avait pas de produits alimentaires. J’ai fini les cours en soirée, entrée dans le magasin et pu voir seulement de pommes de terre qui était congelé. Si la certaine alimentation apparaissait dans les magasins, les autres l’achetaient avant toi. Je pouvais par quelques semaines ne pas manger normalement, boire du thé seulement, parce qu’il n’y avait rien dans les rayons de magasins. Et ensuite, quand la chute de l’Union s’approchait, ma mère ne pouvait plus m’envoyer les envois, le gouvernement contrôlait tout.

 

Au regard de ces trois crises universitaires, nous pouvons remarquer que chaque crise étudiante est un petit élément dans le contexte de la crise globale. Pour cette raison elles étaient et peut-être, restent invisible ou sous-estimée, car elles dépendent toujours de crises plus grandes (guerre, changements politiques ou aujourd'hui pandémie)  Pourtant, nous pouvons aussi remarquer que les crises sont des périodes de défi, qui demandent de la persévérance et de la patience. De plus, comme l’histoire nous le montre, nous devons toujours tirer les leçons de ces crises, en ramasser « les moissons ». La question reste de savoir ce que produira, à long terme, cette crise universitaire.

 

Oleksandr Tsilyi

Bibliographie

 

[1] Tonnelat, E. (1945), L’organisation de l’enseignement en Allemagne occupée, dans Politique étrangère, 2, 161-168;

[2] Salomon, J-J. (2000), Les Alliés occidentaux et les universités allemandes, 1945-1949, Le revue pour l’histoire du CNRS, 5 ;

[3] Diffusion de ARTE : Ratiney, C. (2019), Jean Paul II, Le triomphe de la réaction. dans Les coulisses de l’histoire, https://www.youtube.com/watch?v=9VEahC9I058&t=783s

[4] La cause officielle qui a été présenté par le parti communiste polonais. 

[5] Sarnat J. (2019), Próba przyzwoitości. W 1981 r. środowisko akademickie UŚ zrozumiało, że najtrudniejszym egzaminem jest ten z etyki. Dans Dziennik Zachodni  https://plus.dziennikzachodni.pl/proba-przyzwoitosci-w-1981-r-srodowisko-akademickie-us-zrozumialo-ze-najtrudniejszym-egzaminem-jest-ten-z-etyki/ar/c15-14650751?fbclid=IwAR3fc8Vz52vTL-1ZSOewS5fA-IUyKE6K3__WyfnzoGfWlZF-DqT-Yuei5DI

[6] L’expression qui est utilisé en polonais pour décrire l’état de personne qui ne peut plus d’occuper son poste quotidien à cause son activité supplémentaire, par exemple, pendant l’état de siège à cause de l’activité militante et oppositionnelle du gouvernement

[7] Dans les pays socialistes existait le système du travail obligatoire, dans le domaine étudié après l’université.

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