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Instants d'étrangeté

Septembre 2020 : partis d’un extrait d’ouvrage philosophique dédié à ce qui fait notre « monde familier »[1], des étudiant(e)s de L1 du portail Sciences sociales à l’Université Lyon 2 ont été invité(e)s à réfléchir à la notion d’étrangeté. Ce qui est étranger est-il nécessairement étrange ? Comment définir l’étrangeté ? En quoi la notion est-elle révélatrice d’une expérience nouvelle ?

 

Pour tenter de la définir, il leur a été proposé de partir de l’expérience vécue. Ainsi, repéraient-ils un moment ou un instant d’étrangeté vécu dans le cadre de leur vie étudiante en cette année de L1, année par ailleurs singulière en étant marquée par l’irruption dans les vies quotidiennes du COVID 19 ?

 

Qu’il s’agisse d’instants vécus dans les différents murs du campus de Bron ou dans les endroits constituant leurs espaces de vie étudiants qu’ils allaient probablement apprendre à apprivoiser, il fallait voir si leur revenait une sensation qu’ils catégorisaient comme « étrange ». L’étrange relève-t-il alors davantage de l’inconfortable, du doute ou du grisant ?

 

Faisant part de leurs expériences et sensations personnelles, les étudiant(e)s se sont prêtés à l’exercice en partageant des photographies prises avec leurs téléphones. Ils y expriment l’inconnu, le changement, l’inhabituel, et l’expérience de la remise en cause ou de l’insoupçonné. Renvoyant à des lieux, à des instants de vie ou à des (non) interactions, leurs clichés disent quelque chose des émotions traversées et, avec elles, des processus de socialisation qui contribuent à marquer et à former les parcours…

 

[1] Bégout Bruce, La découverte du quotidien, 2005

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Le professeur-Robot

13 septembre 2020. Moment d’étrangeté, moment qui me laissa perplexe et dans une grande incompréhension. Drôle de bizarrerie qui fut inconfortable et que je connus très rapidement après trois jours passés à l’Université. Si j’ai choisi ce moment, c’est qu’il est évident, pour moi, que cela fut inexplicable.

Je sors de mon TD, descends les escaliers, quitte mon bâtiment H et me met à déguster mon eau qui se trouvait dans ma gourde. Si fabuleuse était-elle que ma fatigue présente fit en sorte que cette bouteille s’échappa de mes mains. Après coup, cela résultait très probablement de mon stress et de mon anxiété sociale !

Face à moi, un professeur que j’avais vu il y a de cela quelques jours auparavant présenter quelques diapositives lors de ma semaine d’intégration à l’amphithéâtre Condorcet. Ce dernier, armé de son costume et de son porte-documents, mon contenant roulant vers lui, juste à ses pieds, lui me fixant, presque avec dédain. Finalement, la course de mon récipient s’acheva, face à lui. Il se mit alors à le regarder, se déplaça et continua son chemin.

Il est vrai que j’avais déjà connu cette ignorance face aux autres dans la rue, mais un sentiment embarrassant et de questionnement me vint. Je n’ai actuellement toujours pas saisi l’action du personnage et le malaise dans lequel cette confrontation m’avait mise. L’absence de réaction chez les autres passants, témoins de la scène, me mit face à une situation où je ne puis rien faire d’autre que tenter d’assimiler les faits. Pourquoi ? Est-ce donc cela l’Université ?

Ainsi, je connus très tôt dans l’année l’étrangeté de marcher en ayant l’impression d’être un humain,

face à des robots insensibles.

Finalement, j’ai tenté d’expliquer en quoi cette expérience fut pour moi « louche » et anxiogène. Pour tout dire, le climat m’a paru intraduisible en langue des humains ayant des émotions normalement constituées et réelles.

C’est alors que ma photo traduit l’isolement psychologique dans lequel je fus. Cachée dans un petit coin, j’y fais une rétrospection de moi-même et de l’évènement. Là, au loin sur la photo, un jeune homme, représenté comme l’allégorie de ma solitude vis-à-vis de ces sentiments étrangers : seule face à quelqu’un d’indifférent, seule face à tous, seule avec tous.

 

Carla Delmas

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